IX Coloquio Internacional de Geocrítica

LOS PROBLEMAS DEL MUNDO ACTUAL.
SOLUCIONES Y ALTERNATIVAS DESDE LA GEOGRAFÍA
Y LAS CIENCIAS SOCIALES

Porto Alegre, 28 de mayo  - 1 de junio de 2007.
Universidade Federal do Rio Grande do Sul

 

LES POLITIQUES PATRIMONIALES DANS LE CENTRE DE PORTO ALEGRE:

QUELQUES ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION

 

David Lemée

Doctorant en Géographie

GREGUM

Université du Maine, France

davidlemee@gmail.com

 

 


The patrimonial politics in the downtown of Porto Alegre: some elements of consideration (Abstract):

 

As it has been the engine of the rise of the recent urban economy that is based on the development of the urban cultural tourism, the urbanism of real estates has become a mayor interest of the financial investment in the public and/or private field. Because of the impact of the public power, the patrimonial implement has been integrated into a politics of global downtown management whose prime importance is to proceed in its social, economic and urbanist reconquest. Although downtown Porto Alegre was in the past the engine of the dynamics of the gaúcha capital, it has become a place losing its speed (rise?) because of the retreat of the commercial business, and because of the upper class searching for a more polyvalent centralization. At the same time, the tributary population depending upon the informal commerce in the historical peninsula, has subdued to a slow and constant deterioration due to the lack of financial investment. Using the patrimony, the local governments would like to renconquer and to gentrify the town center. In other words, they want the upper class to reappropriate downtown Porto Alegre. So the public politics should rather aim at the patrimonialization of a place than sporadically protect some buildings. The economic, social and urbanistic stake of these politics is important and needs some consideration about the relationship between the various actors and about the assigned use of a restored building. The real estate’s patrimony remains a strategic ressource that has to be used in the profit of other economic domains (residential and comercial offer) than in tourism only.

 

Key-words: urban patrimony, preservation and patrimonialisation, downtown, publics politics, spatial appropriation, gentrification.

 

 


 

Bien avant l’arrivée des colons européens aux abords des rivages du « Nouveau continent », l’Amérique était déjà composée de centres urbains. Du petit village rural à la capitale impériale, le système d’organisation de l’espace était conçu par les civilisations précolombiennes sédentaires (Aztèques, Incas, Mayas…) comme un vaste réseau urbain dense, hiérarchisé, et communicant.

 

A la présence des cités précolombiennes s’est ajoutée la fondation ex nihilo de villes par les Empires colons luso-espagnols qui furent les protagonistes de la plus grande entreprise de création de villes de l’histoire de la planète[1]. A la fois points de commandement stratégique consolidant l’emprise coloniale sur des territoires, bastions militaires assumant un rôle de dissuasion vis-à-vis des belligérants européens, et points d’ancrage permettant le contrôle des populations dans les campagnes environnantes et l’acheminement vers l’Europe des richesses extraites depuis l'arrière-pays proche, plus d’un milliers de villes furent créées en quelques décennies.

 

A l’aube des Indépendances apparues au cours du 19ème siècle, le continent américain présentait donc un riche patrimoine immobilier et urbain, de nature précolombienne et/ou européenne, qui témoignait de la diversité des contextes culturels, économiques, sociaux et historiques.

 

Ce patrimoine urbain fut utilisé par les tenants du pouvoir comme un instrument idéologique de contrôle de l’espace. Qu’il s’agisse de l’effacement des cités précolombiennes par les empires coloniaux désirant marquer la présence et la domination européenne, ou bien de l’effacement par les jeunes Etats nations des monuments témoins du passé colonialiste douloureux, les villes latino-américaines ont été l’objet de politiques de suppression du patrimoine. En raison des ruptures politiques et des successions de différents régimes[2], la destruction d’un bien patrimonial représentait alors le symbole du rejet des systèmes d’organisation politique et territoriale du passé. Outre les édifices patrimoniaux à forte teneur symbolique, il ne pas faut pas omettre que l’effacement de l’ancien résultait également de la manière de bâtir une ville propre à chaque civilisation, avec des normes architecturales et des plans d’urbanismes spécifiques.

 

Ensuite, au cours du 20ème siècle, la destruction du patrimoine s’est intensifiée dans les centres historiques des métropoles latino américaines au nom de l’aspiration permanente à la modernité et de la pression immobilière. Réceptacles des populations en quête d’emplois, ces villes sont devenues des refuges et leur urbanisation s’est accélérée. Les afflux de populations ont engendré des besoins considérables en terme d’équipements urbains et de structures d’accueil. En outre, du fait de la pensée influente de la ville fonctionnelle et hygiéniste, des travaux d’aménagements lourds (infrastructures de transports, logement,…) ont été réalisés par les gouvernements municipaux dans le centre ville, afin d’y faciliter la convergence des flux et de permettre une meilleure articulation entre les multiples espaces de la ville.

 

Fondée en 1742 par des immigrants açoriens, Porto Alegre, capitale du Rio Grande do Sul (Etat méridional du Brésil) ne dispose pas d’un répertoire patrimonial pléthorique, à l’instar de nombreuses villes latino américaines. Malgré sa fondation récente, la physionomie de la capitale gaúcha a rapidement changé, à l’image de la majorité des villes latino-américaines.

 

L’évolution de l’urbanisation de Porto Alegre correspond bien au schéma d’évolution générique de la ville latino américaine. Dans une agglomération devenue polycentrique, le centre ancien de Porto Alegre s’est retrouvé en situation de concurrence face à des centralités plus polyvalentes. Les immeubles anciens, vétustes et dégradés, ont été substitués par des gratte ciel modernes et fonctionnels. Peuplée depuis 265 ans, la métropole porto-alegrense est composée d’un patrimoine qui se réfère aux édifices marqueurs de la colonisation portugaise, de l’immigration italienne et allemande, et de la construction de l’identité brésilienne. Depuis trois décennies, la municipalité s’est progressivement soucier de la sauvegarde des édifices patrimoniaux en définissant dans son Plan de Développement Urbain et Environnemental (PPDUA) un espace central géographiquement délimité, ainsi qu’en se dotant d’un dispositif juridique approprié.

 

Pour apporter une solution à la de perte de vitesse du centre ville, le patrimoine fut intégré dans un projet global de reconquête de ce même centre. Il s’agit donc de comprendre, à travers la présentation des acteurs, des enjeux et  des paradigmes patrimoniaux, comment les politiques de patrimonialisation peuvent remédier aux problèmes de disqualification du centre, et ce quelles peuvent apporter.

 

 

Accélération de l’urbanisation et interventions  du centre

 

Dans un premier temps, nous rappellerons les facteurs qui nous semblent importants dans la compréhension de l’évolution de la ville, et l’incorporation des espaces voisins dans les échanges économiques et de population. Par la suite, nous focaliserons notre étude au 20ème siècle car c’est à ce moment qu’interviennent les transformations urbanistiques majeures dans la capitale gaúcha. Ces éléments sont essentiels et nécessaires pour comprendre l’image négative émise par le paysage actuel du centre ville. Nous disposerons ainsi des éléments facilitant la meilleure compréhension de l’émergence des politiques de mises en patrimoine, ainsi que des raisons de la raréfaction du patrimoine dans le centre historique de Porto Alegre.

 

Développé sur un territoire peu propice à une expansion urbaine linéaire et continue (relief accidenté, parsemé et abrupt), Porto Alegre s’est lentement et tardivement peuplé jusqu’au 20ème siècle en raison d’un hinterland difficilement intégré dans l’économie locale (ce qui a engendré un développement économique irrégulier), de décisions politiques défavorables en matière de développement urbain, et de troubles politiques[3].

 

Entre 1808 et 1890, la croissance de la population porto-alegrense, qui a augmenté de 6000 à 52000 habitants, s’expliquait par un solde migratoire positif (immigration portugaise, allemande et italienne) plutôt que par une hausse du solde naturel. La colonisation portugaise dans le sud du Brésil résultait d’une décision prise par la Coroa (Couronne Portugaise) qui consistait à encourager la venue de migrants afin d’occuper les terres encore libres, et à fixer des embrayons de populations afin de permettre le développement d’une économie locale[4]. Aux intentions portugaises s’ajoutaient les vagues sporadiques d’immigration allemande (7491 personnes entre 1824 et 1846[5]), et l’immigration italienne à partir de 1875 dans les espaces laissés vacants par les allemands (versants abrupts des collines notamment,…). Entre 1875 et 1889, environ 60 000 italiens ont migré en direction de l’Etat du Rio Grande do Sul.

 

Malgré la difficile incorporation dans son économie des espaces ruraux voisins, Porto Alegre a cependant assis son rayonnement et intensifié son développement commercial avec ces régions environnantes. Avec l’arrivée des migrants allemands et italiens, non seulement les productions agricoles se sont diversifiées (riz, haricot, maïs, herbe à maté, …), mais les créations de structures industrielles ont fleuri (entrepôts frigorifiques indispensables à la conservation et l’exportation des viandes bovines provenant des élevages). En 1890, Porto Alegre disposait d’un marché interne suffisamment conséquent pour permettre la transformation des méthodes de productions artisanales existantes en productions industrielles. L’essor de la ville était impulsé par les activités portuaires et industrielles d’agro exportation qui préfiguraient de l’industrialisation de l’économie de la ville entre 1890 et 1945. Bassin d’emplois attractif composé d’un secteur industriel dynamique et diversifié (chimie, métallurgie,…), le rythme de l’urbanisation de Porto Alegre s’accélérait au début du 20ème siècle.

 

Avec la concentration des activités économiques, une différenciation socio-spatiale de plus en plus évidente s’imposait dans le fonctionnement de la ville qui était organisée selon une dissymétrie centre-périphérie. Les quartiers périphériques regroupaient la classe prolétarienne (Navegantes, Humaíta, …) alors que les quartiers aisés se situaient dans les espaces centraux et péri centraux, Independência et Moinhos de Vento entre autres.

 

De la date de fondation de Porto Alegre jusqu’à la fin de la Révolution Farroupilha (1845), le centre ville a concentré pratiquement tout le système des activités urbaines, telles les sièges de l’administration de la ville, les commerces, les équipements de loisirs, les espaces d’échanges sociaux et de culte religieux.

 

Bénéficiant d’une vitalité importante, et représentant le lieu d’appropriation commun à l’ensemble de la population porto-alegrense, la péninsule historique de la ville représentait alors le centre d’intérêt majeur des gouvernements municipaux

 

Durant la première moitié du 20ème siècle, la physionomie du centre ville était alors modifié en profondeur par des travaux d’aménagement urbanistique de grande ampleur. Les quais du port furent créés et consolidés, et les terminaux de terminaux de transports portuaires, ferroviaires (métro) et autoroutiers (système de bus intra-urbains, rodoviárias[6], aires de stationnement pour les automobiles) regroupés dans cet espace. La construction du pont sur le lac Guaíba ouvrait une voie reliant la capitale gaúcha au sud du Rio Grande do Sul. Des remblais étaient érigés dans le but d’empêcher les inondations récurrentes, et de contenir la montée des eaux. Enfin des terrains récupérés sur ce même lac Guaíba donnaient naissance à un nouveau quartier (Praía de Belas) et de nouveaux îlots d’urbanisation.

 

Si les pouvoirs publics ont pris en charge les travaux d’aménagements utiles à la collectivité, les promoteurs privés ont dirigé leurs investissements vers le renouvellement du parc immobilier (construction de gratte ciel).

 

Un indicateur fondamental témoignant de la fièvre du modernisme à Porto Alegre est celui du paysage actuel du centre ville. Le centre ville est devenu l’espace de concentration des gratte ciel aux fonctions affairistes et résidentielles. Aux édifices anciens et vétustes se sont substitués depuis la fin de la seconde Guerre Mondiale une multitude de buildings neufs et modernes. La multiplication des quartiers et les progrès en matière d’urbanisme a engendré une concurrence importante entre les centralités de la ville, notamment en terme d’offre résidentielle. La présence des terminaux de transports, les exigences du modernisme, et les opérations de valorisation immobilière réalisées dans le but de satisfaire les attentes d’une population en pleine croissance, ont brutalement modifié le paysage du centre ville et causé une raréfaction du patrimoine immobilier.

 

 

De la ville monocentriste à la métropole polycentriste : la perte de vitesse du centre ville

 

Le caractère polycentriste de Porto Alegre est un fait qui s’avère être le résultat d’une expansion urbaine considérable. Comme l’affirme Décio Rigatti, l’expansion territoriale de la ville, initiée depuis le noyau péninsulaire jusqu’aux espaces limitrophes des villes voisines, correspond à un processus simultané de transfert de centralité vers des territoires qui se sont constitués en espaces urbains indépendants[7] (RIGATTI, 2002).

 

La carte suivante nous permet de percevoir les évolutions urbaines vécues par la ville depuis sa fondation, et particulièrement une urbanisation qui dans un premier temps a suivi les principaux axes de communications pour ensuite investir les interstices urbains disponibles.

 

 

 

Comme nous l’avons vu auparavant, l’objectif des politiques publiques consistait à consolider le rôle de centralité du noyau historique de Porto Alegre.

 

Espace bénéficiant de la présence des terminaux des transports portuaires, ferroviaires et autoroutiers, le centre était caractérisé par une grande vitalité et une forte dynamique au point de provoquer un niveau d’occupation très élevé (mouvement de piétonisation, trafic de véhicules,…).

 

L’effet inattendu de ces politiques s’est traduit par une importante congestion du centre ville ainsi qu’un manque de structures destinées au stationnement des véhicules alors que ce moyen de déplacement devenait prédominant. Cette situation ne fut pas sans conséquence puisque de nombreux édifices anciens furent totalement et/ou partiellement (façade conservée) détruits dans le but d’en transformer l’usage en aires de stationnement.

 

Un second facteur rapidement désavantageux et problématique pour l’aire centrale fut celui de l’implantation des shopping centers dans les nouvelles centralités. Etablis dans des quartiers en cours d’urbanisation, ces grands centres commerciaux disposaient d’espaces libres et modulables selon leur convenance, ainsi que d’une meilleure desserte autoroutière et d’équipements en parkings jouxtant les commerces. Les centralités plus récentes et polyvalentes répondaient davantage aux attentes de la population porto-alegrense, en matière de normes de consommation et d’offre résidentielle notamment (valorisation immobilière conjuguée à la valorisation commerciale). Les nouveaux équipements de desserte et d’accueil des véhicules ont alors représenté un motif de localisation des commerces et des investissements privés.

 

La congestion du trafic, la modification des normes de consommation (recherche d’une localisation optimisée par son accessibilité), et les opérations de promotions immobilières représentent une partie des composantes de la baisse d’attractivité du centre ville.

 

A la délocalisation des activités commerciales s’est ajoutée le transfert d’une partie des activités administratives, politiques, et judiciaires de la municipalité et de l’Etat. Bien que l’Assemblée législative et la Mairie se soient maintenues dans le centre ville, l’administration de l’Etat du Rio Grande do Sul s’est retirée du centre ville en direction du secteur de Praía de belas, et quelques sièges des secrétariats de l’administration municipale ont été transférés et disséminés dans plusieurs secteurs de la ville.

 

L’affaiblissement du rôle de centre résulte donc de la perte de fonctions qui se sont délocalisées vers d’autres territoires dans la perspective d’un meilleur développement. Ces délocalisations modifièrent tant le profil que la typologie commerciale du centre ville. Si des sièges de banques et des bureaux d’affaires se sont maintenus, un commerce à chaque fois plus populaire (commerce de rue, commerce informel) a contribué à émettre l’image négative d’un centre ville en voie d’appauvrissement. Véritables points névralgiques du commerce informel, les espaces publics ont été investis par les populations pauvres qui ont établis leurs commerces près des terminaux des transports publics (bus municipaux, bus inter-municipaux de la Région Métropolitaine de Porto Alegre, métro, aires de stationnements,…) et dans les rues empruntées par les piétons.

 

Simultanément, le centre ville s’est désempli des populations des classes aisées qui ont migré vers les quartiers mieux équipés et polyvalents. Certains propriétaires insolvables n’ont pas entretenu leurs immeubles et n’ont pas payé les impôts, laissant leurs biens désaffectés et sans entretien. Les processus d’occupations par les populations pauvres, qui se sont appropriées ces immeubles en revendiquant l’accès et le droit de posséder un toit, se sont multipliés dans les édifices laissés vacants et en état de dégradation. Cette situation déboucha sur des conflits ouverts entre les propriétaires, les pouvoirs publics et les populations manifestant un droit à la possession d’un logement.

 

Le paysage d’appauvrissement que revêt le centre ville, du fait des différents facteurs auparavant exprimés, a par conséquent nourri un sentiment d’insécurité ressenti par les porto-alegrenses, et a engendré une réduction de la fréquentation récréative des espaces publics en centre ville.

 

     

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Photo 1: Situé à quelques pas de la place emblématique du centre ville, près de la Mairie de Porto Alegre et de son Marché Public couvert.

 

Cette photo est représentative d’une image négative produite par deux facteurs. Au premier plan, on constate la présence d’un commerce informel où se vendent des produits de contrefaçon ainsi que des produits de faibles qualités. Au second plan, on peut distinguer une opération immobilière inachevée. Cliché : D. Lemée, 2006.

 

 

A l’instar des quartiers Moinhos de Vento, Independência, Mont’Serrat, et Menino Deus, le centre historique ne bénéficie plus d’une image positive nécessaire au bon rayonnement d’une métropole, surtout quand les intérêts du tourisme entrent en jeux.

Dès lors, « C’est par un effet de différence, et par contraste, que la ville ancienne devient un objet d’investigation » comme le souligne Françoise Choay[8].

 

 

Le patrimoine au service de la reconquête du centre ville de la capitale gaúcha

 

Tout d’abord, il nous paraît important de rappeler que les politiques patrimoniales ne représentent qu’une partie des politiques publiques mises en œuvre dans le projet intégré de gestion globale du centre ville. Inscrite dans un programme de développement local sur un territoire spatialisé, la reconquête du noyau historique de la métropole s’appuie non seulement sur les politiques de mises en patrimoine, mais encore sur les politiques d’amélioration des transports, de renouvellement du parc locatif, de réhabilitation des espaces publics, de réalisation d’espaces verts…Mais, le propos dans cet article est consacré à l’étude de l’importance du patrimoine en tant qu’outil de requalification du centre ville.

 

De même, nous ne pourrions pas procéder à un examen des processus de patrimonialisation sans commencer par réaliser un inventaire et une classification selon la nature du patrimoine en présence à Porto Alegre.

 

Jérome Monnet nous propose dans L’urbanisme dans les Amériques : modèles de villes et modèles de sociétés [9] une classification du patrimoine qui intègre à la fois un référent historique ainsi qu’une définition selon l’usage passé du monument. L’auteur distingue les monuments patrimonialisables en trois catégories :

 

- les monuments « pré-modernes » dominants. Ces édifices datent de l’époque précoloniale  ou se réfèrent aux mouvements de colonisation et d’immigration. Dans ce cas, figurent à Porto Alegre de nombreux bâtiments (religieux, civils,…) témoins de la colonisation portugaise et de l’immigration allemande et italienne.

 

-  Les monuments « modernes » liés à la construction de l’Etat-Nation. Cette période est composée de monuments à forte teneur politique (palais, présidences, parlements, ministères, hôtels de ville, tribunaux,…) et d’ouvrages de nature militaire et commerciale (ports,…).

- Les monuments « post-modernes » dominant l’ère actuelle qui sont tous le produit du pouvoir économique (patrimoine industriel par exemple). Il peut s’agir également des grattes-ciel, des « cathédrales du 20ème siècle », des grands hôtels, qui deviennent les principaux marqueurs paysagers dans les aires urbanisées les plus récentes. Peuvent être considéré comme patrimoine tous les monuments (gares, stades,…) qui imposent désormais une monumentalité renvoyant à la puissance économique, si ce n’est de la ville, du moins de ces entrepreneurs.

 

La municipalité de Porto Alegre se préoccupe depuis quelques décennies de construire et préserver un patrimoine diversifié. Edifices coloniaux, bâtiments témoins de l’immigration européenne, bâtiments riches d’une histoire locale revendiquée (Révolution Farroupilha), patrimoine portuaire, militaire et industriel (le plus symbolique étant représenté par l’usine du Gazomètre), la municipalité a constitué un ample répertoire patrimonial malgré la faible quantité d’édifices demeurant intacts. Plus le champ patrimonial de la ville s’est aménuit avec le temps, plus son rôle fut pris en considération dans les politiques publiques. Depuis les années 1980, les politiques de mise en patrimoine sont devenues indissociables des politiques de gestion du centre ville.

 

Malgré leurs efforts, les municipes sud-américains possèdent un budget limité, qui ralentit l’avancée des mises en patrimoine, et doivent composer des politiques de préservation en collaboration avec les propriétaires et les investisseurs privés. D’après la liste d’inventaire communiquée par la Mairie de la ville, 77 % des édifices inscrits comme patrimoine en centre ville appartiennent à des propriétaires privés (particuliers, associations, autorités religieuses,…) tandis que 23 % seulement appartiennent aux pouvoirs publics (Mairie de Porto Alegre et Etat du Rio Grande do Sul).

 

Pour remédier aux pratiques de destruction volontaire des biens anciens par leurs propriétaires, pratiques courantes dans les années 1970, la municipalité s’est armée d’un dispositif juridique pour s’opposer aux promoteurs immobiliers qui exerçaient des pressions en obligeant la municipalité à ouvrir des lots coloniaux à la construction. En plus de l’élaboration d’un inventaire et de l’exonération des taxes fiscales concernant les travaux de restauration, la municipalité a mis en place un décret appelé tombamento[10]  qui déclenchent systématiquement l’interdiction de la démolition d’un édifice, et son caractère immuable lorsque celui-ci présente une valeur symbolique d’une histoire et/ou d’une architecture particulière.

 

Les organismes municipaux chargés de la préservation du patrimoine (EPAHC) ont pensé leurs politiques selon deux types d’actions. L’accumulation du maximum d’édifices anciens dispersés dans le centre ville d’une part, et la patrimonialisation d’un espace plutôt que ces biens isolés et épars d’autre part. 

Intitulé « projet de Corridor Culturel », le projet pilote de patrimonialisation d’un espace devait être réalisé dans la plus ancienne rue de Porto Alegre (rua da praía) située entre l’usine du Gazomètre et la place d’Alfândega. L’idée était de procéder à la restitution d’une morphologie urbaine ancienne, et provoquer une « synergie de l’attractivité pour rendre la localisation désirable »[11]. Mais cette tentative de patrimonialisation continue et cohérente d’un espace fut infructueuse, et rapidement abandonnée en raison de la mise en coordination compliquée des divers secrétariats de la ville (secrétariat de la planification urbaine, secrétariat des œuvres et de la voirie, secrétariat de la culture, et celui de la propreté urbaine), ainsi qu’en raison de l’insuffisance des ressources financières publiques.

           

L’exemple de la rua da praía souligne un dysfonctionnement lié à la multiplicité des acteurs en présence, et à leur collaboration insuffisante voire absente, qui peut engendrer parfois une confusion des rôles. A Porto Alegre, gravitent autour des politiques de préservation du patrimoine les services des autorités publiques (EPAHC, IPHAE, IPHAN)[12], les bureaux d’études spécialisés dans la gestion du patrimoine, les architectes, les urbanistes planificateurs, les associations religieuses et civiles composées de citoyens revendiquant le maintien d’une mémoire sociale de la ville, les promoteurs immobiliers et les investisseurs financiers qui exigent en contrepartie du volume financier investi dans les travaux de restauration, une rentabilité de l’usage du lieu. Ces derniers s’inquiètent de savoir si le centre ville, dans sa situation actuelle d’appauvrissement et de perte de vitesse, peut cependant représenter une valeur de marché potentielle susceptible d’être remobilisée avec le concours des pouvoirs publics.

 

Manifestement, une politique consensuelle de préservation du patrimoine est difficile à mettre en œuvre en raison du nombre conséquent d’acteurs, des enjeux considérables de l’appropriation de l’espace, et des conflits sociaux, politiques et économiques.

 

L’usine du Gazomètre symbolise à elle seule les velléités sociales, économiques, et politiques surtout, dont peut faire l’objet un acte de patrimonialisation. Par l’importance symbolique que revêt l’usine dans le progrès et la modernisation du fonctionnement de la ville, entre la fin du 19ème siècle et la moitié du 20ème siècle, l’édifice fut l’objet de toutes les attentions. Les ouvriers protestaient contre la volonté des pouvoirs publics de ne pas réaliser un espace dédié à la mémoire ouvrière de la ville. Même en entraînant dans son sillon le mécontentement des citoyens, la Mairie n’a pas répondu aux attentes de l’association de défense de la mémoire ouvrière. Un Musée du Travail fut érigé à quelques pas de l’usine.

Finalement le choix de la réutilisation de l’usine fut entériné en faveur de la création d’un pôle culturel (espace de résidence pour compagnies théâtrales et musicales, création de salles permettant la tenue de conférences et séminaires, espace cybernétique, et restaurant panoramique). Alors en contradiction avec les projets du maire Alceu Collares, appartenant à un parti politique de droite, le nouveau maire du Parti des Travailleurs Olívio Dutra[13] intervint pour faire de l’usine un pôle culturel.

 

A un moment où le Brésil sortait du joug de la dictature, ce choix résultait du dogme pétiste qui consiste à démocratiser la Culture en facilitant l’usage, la fréquentation et l’accès au plus grand nombre de concitoyens par la gratuité des évènements culturels (spectacles, conférences,…).

 

Comme en témoignent de nombreux exemples en Amérique Latine, l’efficacité des politiques de mobilisation du patrimoine dans la requalification du centre ville peut être améliorée, grâce à la concertation (tenue d’ateliers et de réunions) et la pleine coopération des acteurs notamment[14].

 

A Porto Alegre, les résultats mitigés de l’apport des politiques patrimoniales dans la reconquête du centre ne semblent être pas le seul fait d’un manque de coopération entre les pouvoirs publics et les investisseurs privés, et d’une collaboration insuffisante entre les secrétariats municipaux.

 

Les répercussions des politiques de patrimonialisation auprès des groupes sociaux aboutissent à deux cas de figure : la corrélation entre le territoire et le patrimoine quand un groupe installé sur un territoire reconnaît et adopte le patrimoine de son territoire, ou la non corrélation entre le territoire et le patrimoine quand ce même patrimoine est transmis à un groupe qui ne se reconnaît pas dans les héritages proposés par le groupe créateur. L’absence de repères patrimoniaux prive alors le groupe d’une expression identitaire spatialisée[15]. En ce sens, l’objectif des pouvoirs publics est atteint puisque nombreux sont les porto-alegrenses à fréquenter l’usine du Gazomètre et la maison de la Culture Marío Quintana. Mais il ne s’agit que de fréquentations temporaires qui se font à l’occasion d’expositions et de représentations artistiques, et non pas d’une réappropriation et une fixation des classes sociales les plus aisées dans le centre.

 

Même si l’objectif explicitement reconnu par les pouvoirs publics est de participer à la gentrification du centre ville, se dégage une impression générale de politiques de préservation sans projet réellement défini, qui engendre une préservation spatiale fragmentée, au cas par cas, sans continuité spatiale.

 

Après l’utilisation des édifices restaurés comme musées et centres culturels, qui participent à la construction d’un centre culturellement élitiste, les actions de la municipalité se tournent désormais vers l’amélioration de la capacité hôtelière pour des raisons touristiques. Porto Alegre est par vocation, non seulement une ville hôte du tourisme d’affaires (foires du Rio Grande do Sul, du Brésil, et du cône sud-américains), mais encore une ville où se déroulent des conférences universitaires, des biennales,… Pourtant, le centre ville n’est pas suffisamment doté de structures hôtelières de bonne qualité.

 

L’objectif de la municipalité est donc d’y fixer des populations qui séjournent, même sur une courte période, dans d’autres quartiers mieux équipés en hôtels. La nouvelle orientation prise par les pouvoirs publics, en terme d’usage du patrimoine, est donc destinée à répondre à ces impératifs économiques et touristiques. Par conséquent, il s’ouvre à court terme des nouveaux champs d’action avec des retombées financières considérables si l’opération promue est une réussite.

             

On le voit donc, la municipalité accorde une place particulière au rôle du patrimoine dans la reconquête du centre ville, non seulement en explorant plusieurs pistes d’actions (construction d’un centre culturellement élitiste, et centre d’un tourisme d’affaires), mais encore en maintenant ses politiques malgré les résultats mitigés. La part du budget de fonctionnement municipal consacrée aux politiques patrimoniales demeurant encore assez limité puisque englobé dans d’autres secteurs (politiques de santé et de construction de logement,….). Pour une meilleure efficacité des politiques de patrimonialisation, la municipalité devra se résoudre à coopérer avec les investisseurs privés. Mais surtout, elle devra clarifier et peut être redéfinir son projet global de mise en patrimoine. Au lieu d’une accumulation d’immeubles patrimonialisés au cas par cas dans plusieurs endroits du centre, la municipalité devra mobiliser ses secrétariats et se concerter avec les acteurs issus des sociétés privées et civiles pour repenser ses politiques sur un espace continu et cohérent. Comme le montre beaucoup d’exemples de développement local dans les centres des métropoles latino-américaines, la réussite d’une gentrification et de réappropriation d’un centre ville passe nécessairement par ces conditions.

 

 



Notes:

 

[1] MUSSET A., SANTISO J., THERY H., VELUT S., Les puissances émergentes d’Amérique Latine (Argentine, Brésil, Chili, Mexique), Ed. Armand Colin, coll. Prépa, Paris, 1999, 207 p.

 

[2] Se sont  succédés en Amérique latine les empires précolombiens, les empires coloniaux européens, puis les Etats nation indépendants en proies à une instabilité géopolitique caractérisée par l’alternance brutale de régimes républicains et dictatoriaux.

 

[3] La Révolution Farroupilha (1835-1845) fut fomentée par les libéraux à l’encontre des impérialistes, garants du système d’organisation politique impérial, auxquels Porto Alegre s’était allié.

 

[4] SOUZA C., MULLER M., 1997, Porto Alegre e sua evolução urbana, Université Fédérale du Rio Grande do Sul, Porto Alegre, 141 p.

 

[5] Idem.

 

[6] Les rodoviárias désignent les gares autoroutières brésiliennes. En raison de l’immensité du pays et de la cherté des transports aériens, les systèmes de communications routiers se sont énormément développés au Brésil. Avec des structures importantes et efficaces (terminaux autoroutiers, fréquence des lignes, bus spacieux et climatisés) qui permettent de desservir tant les grandes métropoles brésiliennes que les endroits les plus reculés, ce mode de transport est devenu très populaire, et de nombreuses entreprises de voyage ont vu le jour.

 

[7] RIGATTI D., 2002, Transformação espacial em Porto Alegre e dinâmica de centralidade, thèse post-doctorale, Université de Florence (Italie)-Université Fédérale du Rio Grande do Sul, Porto Alegre, 115 p.

 

[8] Op. cit. CHOAY F., 1999, l’Allégorie du patrimoine, 3ème ed., Editions du Seuil, Paris, 274 p.

 

[9] MONNET J. (dir.), 2000, L’urbanisme dans les Amériques : modèles de villes et modèles de sociétés, Karthala, Paris, 205 p.

 

[10] Terme portugais désignant l’inscription d’un bien comme patrimoine municipal, étatique ou fédéral. Arme juridique qui ordonne l’interdiction d’une éventuelle destruction grâce à la promulgation d’un décret officiel provenant d’une institution chargée de la gestion globale du patrimoine.

 

[11] BOURDIN A., 1992, « Patrimoine et demande sociale », in Le patrimoine : atout du développement, Presses Universitaires de Lyon, Lyon, pp. 21-25.

 

[12] En matière de gestion du patrimoine, l’Equipe du Patrimoine Historique et Culturel est l’organe public compétent à l’échelle municipale. A l’EPAHC se juxtaposent l’Institut du Patrimoine Historique et Artistique Etatique au niveau des Etats Fédérés, et l’IPHAN au niveau national.

 

[13] Olívio Dutra fut le premier des maires issus du Parti des Travailleurs qui administra Porto Alegre pendant 16 ans, de 1989 à 2004.

 

[14] Pour plus de détails, consulter COLLECTIF, 2006, « Nouvelles formes d’intervention sur le patrimoine urbain en Amérique Latine », in L’information géographique : recherche et enseignement, Paris, n°1640, 118 p.

 

[15] GRAVARI-BARBAS M., 1996, « Le “sang” et le “sol”. Le patrimoine, facteur d’appartenance à un territoire urbain », in Le territoire, Géographie et cultures, L’Harmattan, Paris, n°20, pp. 55-68.

 

 

Bibliographie

 

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COLLECTIF, 2006, « Nouvelles formes d’intervention sur le patrimoine urbain en Amérique Latine », in L’information géographique : recherche et enseignement, Paris, n°1640, 118 p.

 

GRAVARI-BARBAS M., 1996, « Le “sang” et le “sol”. Le patrimoine, facteur d’appartenance à un territoire urbain », in Le territoire, Géographie et cultures, L’Harmattan, Paris, n°20, pp. 55-68.

 

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