IX Coloquio Internacional de Geocrítica

LOS PROBLEMAS DEL MUNDO ACTUAL.
SOLUCIONES Y ALTERNATIVAS DESDE LA GEOGRAFÍA
Y LAS CIENCIAS SOCIALES

Porto Alegre, 28 de mayo  - 1 de junio de 2007.
Universidade Federal do Rio Grande do Sul


LES NOUVEAUX TERRITOIRES DES BARRAGES

 

Guillaume Leturcq

Doctorante Université du Maine e IRD (France)

 gus@msb.fr

 

 


Resumo:

O Brasil é um dos principais países em desenvolvimento do mundo e uma das necessidades para este crescimento é a energia. Há mais de 20 anos, a política energética brasileira é baseada principalmente nas barragens hidroelétricas (86% da produção nacional). Além da produção de energia, as barragens produzem uma população sem espaço e sem território. No lugar onde se instalam as barragens, centenas de famílias são obrigadas a migrar para se relocalisarem em outros espaços. As empresas, o governo e os movimentos sociais atuam no sentido de facilitar a reinstalação destas famílias que em lugares nem sempre são próximos de sua área de origem. Este processo é longo e complexo. Das lutas pelos direitos vão ser criados novos territórios, que se acompanhada frequentemente de falsas esperanças e de dúvidas. Através de uma investigação feita junto aos atingidos vamos estudar o processo de reinstalação dos mesmos e os seus novos territórios.

 

Palavras-chaves: geografia social, migrações forcadas, desterritorialização, reterritorialização

 


 

Abstract :

Brazil is one of the main developing countries in the world and a modality of its growth is the energy. Since more than 20 years, the Brazilian energy policy is mainly based on the hydroelectric dams (86 % of the national production). In addition to the power production, dams produce a population without space and territory. There where dams are installed, hundreds of families have to migrate and be relocated in various spaces. With the wrestling of social movements, the assistant of the government and the role of companies, these families are reinstalled the nearest, but this process is long and complex. After claims of rights, new territories are created and this creative process often comes along with false hopes and with doubts. Through a research concerning the "atingidos", we are going to study their process of resettlement and their new territories.

 

Key-words: social geography, forced migrations, new territory

 


 

Pour décrire le Brésil et sa société multiculturelle, on fait souvent et rapidement la remarque des flagrantes inégalités et de la profondeur du fossé creusé entre les deux extrêmes des couches sociales. Même si cette remarque est loin d’être fausse, elle n’est qu’un aspect des diverses difficultés qui touchent le Brésil et c’est souvent un raccourci pour exprimer des idées et vulgariser à l’extrême des discours. Le Brésil est complexe et divers, les riches côtoient quotidiennement les pauvres, mais réciproquement les couches les plus démunies du Brésil ont constamment devant les yeux une situation et un espoir qui est leur. Quand les paysans ruraux qui travaillent dans les grandes propriétés voient passer les propriétaires de l’exploitation dans leurs voitures imposantes ou leurs hélicoptères, ils sont directement soumis à cette fracture économique et ont matériellement devant eux l’aspiration et l’espérance d’une vie meilleure.

Aussi difficile et complexe soit la situation, rare sont les lieux et les moments où l’espoir disparaît. « Vivre sans espoir c’est cesser de vivre » disait F. Dostoïevski, le Brésil vit et l’espoir existe sur tout son territoire. Les cas de pauvreté et de misères sont nombreux, mais on ne retrouve pas de lieux sans vie, ni espoir au Brésil. Une grande partie de sa population aspire à mieux ou meilleur et c’est dans cette aspiration que s’inscrit l’utopie génératrice de changements. L’utopie est le désir d’un mieux et la définition de ce terme explique en quoi le dynamisme du Brésil renvoie à ce sentiment d’espoir : « L’utopie est un système de conceptions idéalistes des rapports entre l’homme et la société, qui s’oppose à la réalité présente et travaille à sa modification. ».

 

La réalité présente et les volontés de modifications peuvent s’exprimer à travers de nombreux exemples au Brésil. Celui qui nous intéressera et sur lequel s’appuiera cet article est porté par les populations touchées par la construction de barrages et soumises à des migrations (« atingidos »). À travers cet aperçu d’un pan de la société rurale brésilienne, nous verrons ensuite comment cette situation va générer de l’espoir et des utopies, tout en construisant de nouveaux territoires.

 

Les « atingidos », historiquement inégalitaires

 

Depuis environ trente ans, se déroule au Brésil un conflit ouvert sur le thème de la politique énergétique gouvernementale. Celui-ci voit s’affronter d’un côté les entreprises publiques et/ou privées, adoubées par l’état pour fournir de l’énergie, et en face les populations directement atteintes par ces politiques. Son expression première s’illustre avec la construction de nombreux barrages (un total de 2000) dans les espaces ruraux. Cette politique est génératrice de tensions car elle touche une part importante de population, est le lieu d’enjeux économiques importants et cristallise des frictions sociales rurales, à l’échelle nationale, qui jusque-là n’apparaissait qu’avec la lutte pour la réforme agraire.

 

Les personnes subissant des migrations causées par la construction de barrages, sont communément appelées des « atingidos ». Ils sont apparus, sous cette forme, au Brésil lors de la construction du barrage d’Itaipu à la frontière entre le Brésil et le Paraguay. Ce qui était à l’époque (avant le barrage des Trois Gorges en Chine), la plus grande centrale hydroélectrique au monde, fut le lieu de naissance d’un conflit rural important. Dans un premier temps (octobre 1978) et avec l’aide de la Commission Pastorale de la Terre (CPT), de petits agriculteurs expropriés (mille cinq cents) se réunirent afin de revendiquer des indemnisations. Deux ans plus tard, le Mouvement Justice et Terre réunissait de nombreux expropriés d’Itaipu et réalisait le premier campement d’« atingidos » au Brésil. C’était aussi la première marque d’organisation, pour les populations concernées par ces revendications alors qu’elles existaient depuis les années 40-50 environ. Ce contexte historique de la fin du régime militaire offrait aussi à ces populations une base expressive plus importante et les « atingidos » alimentaient une vague de révoltes et de prises de position conflictuelles (Parti des Travailleurs, grèves ouvrières, Mouvement des paysans Sans Terre, …) avec le pouvoir en place.

 

Le conflit d’Itaipu fut le premier pas dans la marche contestataire des « atingidos ». En parallèle à cet élément unitaire, d‘autres implantations de barrages posaient problème et furent le lieu d’expression de mécontentement régionaux. Trois exemples illustrent cette montée de l’antagonisme.

 

Au nord du Brésil, dans l’état du Pará, le barrage de Tucuruí se construisait sur le fleuve Tocantins. Vingt-cinq mille personnes furent touchées par celui-ci et très rapidement les populations manifestèrent contre le manque d’indemnisation et la non-réinstallation sur des terres. Le « Mouvement des expropriés par le barrage Tucuruí » naquit en 1981, organisant ainsi les réclamations et récriminations de la population. Le conflit perdura et les problèmes se résolvaient au fur et à mesure du temps et des injonctions. Une marque de ce type de conflit est l’aspect végétatif. Dans le cas présent, en 2001, on retrouvait encore plus de mille personnes manifestant pour la reconnaissance de leurs droits.

 

Dans le Nordeste, le cas du barrage d’Itaparica sur le fleuve São Fransisco eut un impact médiatique plus important à l’échelle nationale, même s’il resta finalement confiné aux espaces nordestins. Le barrage eut pour conséquence d’expulser quarante mille personnes au début des années quatre-vingt. Dans ce cas, les revendications émergèrent par les syndicats ruraux et le « Pôle syndical des travailleurs ruraux du São Fransisco » fut créé en 1979. En 1984, ce mouvement réclamait des réinstallations en masse dans des « reassentamentos » (lotissements légalisés de redistribution de terres), puis en 1986, une manifestation à répercussion nationale eut pour effet d’aboutir à un accord signé avec l’entreprise pour accéder aux diverses requêtes.

 

Le dernier exemple, qui sera plus amplement développé ultérieurement, concerne le sud du Brésil et notamment la frontière entre l’état du Santa Catarina et le Rio Grande do Sul, plus au sud. Dans le bassin versant du fleuve Uruguay qui sépare les deux états, a été prévu à travers un plan énergétique (« Plano 2010 » du début des années 80 par l’Eletrosul), la construction de vingt-trois barrages, soit environ deux cent mille familles expulsées. Ce programme de développement alerte les populations locales et avec l’aide de la CPT et des syndicats ruraux, va s’organiser un mouvement de contestation (la Comission Régionale des « Atingidos » par les Barrages – CRAB). Pour la première fois, la contestation arrive avant la réalisation des barrages et les réclamations concernent des accords à passer avec les populations atteintes. Sa représentation et sa marque régionale forte, lui permet de mobiliser beaucoup de monde. Deux exemples étayent cela, avec en 1983, une manifestation de vingt mille personnes contre le barrage de Machadinho et la réalisation d’une pétition signée par plus d’un million de personnes, sur le thème « Não as barragens » (Non aux barrages). Le CRAB arrive à diffuser ses idées localement et légitimise son action lorsque le gouvernement et les entreprises commencent à traiter avec lui. En 1987, un accord est signé entre le CRAB et l’Eletrosul, pour s’entendre sur les négociations collectives (communauté par communauté) et non plus individuelles, ainsi que pour un programme d’indemnisations qui se déroule en parallèle à celui des travaux. Le CRAB acquiert un statut d’ampleur nationale et aura à présent, plus un rôle d’encadrement et de vérification du respect de l’accord passé. De ce mouvement social local va naître celui qui aura une résonance nationale puis internationale : le Mouvement des « Atingidos » par les Barrages (MAB).

 

En 1989, le CRAB prend l’initiative d’une rencontre nationale entre tous les « atingidos » du Brésil. Cette rencontre a pour but d’échanger les expériences diverses et d’être la première pierre pour la construction d’un mouvement social à portée nationale. Lors de cette rencontre on constate que : « tous les atingidos ont les mêmes problèmes et le même ennemi, mais dans chaque cas, le chemin pour l’organisation et la lutte est différent (Manual do atingido – MAB, 2002). Ce n’est que deux ans plus tard qu’est officiellement créé le Mouvement des « Atingidos » par les Barrages (MAB), lors du premier congrès national des « atingidos ». Le mouvement va se structurer avec une coordination et un centre à São Paulo/SP, puis va se développer, ayant même une portée internationale lorsqu’en 1997 est organisé à Curitiba/PR la « première rencontre internationale des peuples atteints par les barrages ». Le MAB est ainsi un mouvement social qui compte sur la scène nationale et qui est le porte-parole des nombreuses populations touchées par la construction des barrages.

 

Dans les années quatre-vingt-dix, la crise économique ralentit l’expansion du secteur électrique et la construction de barrage va même s’interrompre. Cela influence le mouvement naissant et quelques vicissitudes ralentissent son organisation. Dans le sud la lutte continue et l’interruption de certains barrage, ainsi que la modification d’autres (Machadinho) sont perçues comme des victoires. Le mouvement continue à être actif pour vérifier la bonne application des accords et recommandations (Commission Mondiale des Barrages – CMB, 2001) et accompagne l’installation des familles délogées. Le MAB défend un secteur électrique public et tente d’agir sur le développement de sources d’énergie alternatives. Aujourd’hui, le MAB travaille pour la modification de la réalité pour les familles atteintes et se fixe des objectifs utopiques, mais aide à l’évolution des pratiques dans un contexte d’implantation fort.

 

Le développement économique du Brésil passe par un besoin énergétique important. Mais alors que ce dernier profite à de nombreuses populations, d’autres sont laissées au bord de la route et ne peuvent profiter de cette vague de développement. On estime à environ un million, les « atingidos » au Brésil depuis trente ans et cela ne semble pas s’infléchir. Bien au contraire, selon certains ce serai cent mille familles touchées dans les trois années à venir. Alors que le nord du Brésil (Amazonie) représente 65% du potentiel de l’énergie hydraulique au Brésil, le Sud est la seconde région dans ce domaine, avec 21% (Plano 2030 – EPE, 2006). Cette région est au cœur du territoire dynamique du Brésil (sud-est) et représente un enjeu important pour le secteur énergétique brésilien.

 

 

Le sud un espace très spécifique

 

À travers l’analyse historique de cette contestation sociale, on peut discerner son empreinte territoriale sur tout l’espace brésilien, avec deux zones de concentration, que sont l’Amazonie et le Sud. C’est sur ce dernier espace polémique que nous allons maintenant nous attarder. Le sud est actuellement une région dynamique pour le secteur électrique et très polémique pour les « atingidos ». La localisation des barrages et le potentiel d’expansion se situent sur le bassin versant du fleuve Uruguay (cf : carte 1). Le plan 2010 prévoyait la construction de 23 barrages à l’horizon 2010, mais la crise économique et divers facteurs externes ont limité leurs implantations. Seulement huit sont en fonctionnement (cf : Carte 2) ou en voie de l’être sur la totalité des barrages prévus. Mais le plan 2030, prévoit de continuer à exploiter ce bassin et même si le nombre de barrages prévus n’est pas encore déterminé, nombreux sont en projet ou en cours de réalisation.

 

 

Carte 1 : Localisation de la zone d’étude, le bassin versant du fleuve Uruguay, au Bré

 

 

Spacialement, l’expansion des barrages, que ce soit dans le sud ou dans tout le Brésil, ne cesse de croître. Cela a des impacts sur les populations, mais aussi sur l’environnement. La forêt amazonienne est la première touchée par les barrages de la région nord alors que d’autres écosystèmes moins connus et plus locaux sont mis en danger dans le bassin du fleuve Uruguay. Cet impact environnemental est très important et fait l’objet de nombreuses études préalables à l’installation des barrages. Néanmoins, elles n’empêchent pas ces œuvres d’avoir un impact important sur les paysages, la faune et la flore. La région où sont construit les barrages dans le sud du Brésil, est une zone de moyenne montagne où s’est développée depuis des millénaires la « mata atlântica », une forêt spécifique au littoral brésilien et en voie de disparition à cause de l’action anthropique. Cette action sur le patrimoine naturel fait réagir beaucoup de militants écologistes qui veulent préserver ces espaces caractéristiques du sud du Brésil.

Carte 2 : Les barrages dans le bassin versant et la zone d’étude.

 

 

L’action des barrages imprègne aussi le territoire, c'est-à-dire l’espace approprié politiquement, économiquement et idéologiquement par des groupes sociaux. Le territoire est touché en divers lieux distincts lors de la construction du barrage. Entre le réservoir, la zone d’implantation de l’usine et les zones de réinstallations des familles, de nombreux espaces sont modifiés. Des territoires vont disparaître avec la montée des eaux et les populations occupant celui-ci seront amenées à en occuper des nouveaux. Elles auront le choix entre rester en zone rurale, proche ou non de leurs derniers lieux d’habitation, ou aller en zone urbaine et changer radicalement de vie. De ce choix va dépendre leur futur style de vie. Les populations qui décideront de rester en milieu rural, auront à vivre sur un territoire différent de ce qu’elles ont connu jusque-là. Les familles s’implanteront dans des espaces déjà occupés et devront alors cohabiter avec des populations présentes depuis un certain temps. Il y aura dans un espace restreint la modification d’un territoire pour les populations d’accueil et la création d’un nouveau territoire par les populations migrantes. Ces aspects là de la migration montrent bien le déracinement et la perte partielle d’identité et de lien avec le milieu, que doivent subir ces populations.

 

Les populations touchées par ces barrages sont installées dans le milieu rural et sont d’une diversité importante. Cette région du sud du Brésil est peuplée depuis plus d’un siècle maintenant, par des colons allemands et en plus d’eux, se trouvent des réserves indiennes. Le cas du futur barrage de Foz de Chapecó montre bien la diversité de populations touchées directement par la construction du barrage. Par exemple, lorsque ce dernier sera achevé, le lac inondera les terres d’une réserve indienne, comme ce fut le cas pour le barrage de Machadinho, qui toucha le Poste Indien (PI) de Ligeiro/RS. Dans le cas de Chapecó, d’autres catégories de populations seront atteintes, par exemple les pécheurs du fleuve Uruguay, qui vivent sur les bords et qui tirent leurs ressources quasi uniquement de ce fleuve (cf : Photo 1). Ensuite, on retrouve des catégories de populations plus habituelles, telles que des travailleurs ruraux, des petits exploitants, des petits commerçants, des artisans, … En tout, ce sera entre 2 431 familles (selon l’entreprise) et 3 500 (MAB) qui seront touchées par le barrage de Foz de Chapecó.

 

Photo 1 : Des pêcheurs sur le fleuve Uruguay, à quelques kilomètres du futur barrage de Foz de Chapecó

Août 2006 – G. Leturcq

 

 

La frontière entre l’état du Santa Catarina et du Rio Grande do Sul est marquée depuis la fin du 19e siècle par la colonisation allemande. De nombreuses familles allemandes sont arrivées dans le sud du Brésil et se sont installées dans cet espace, défrichant cette zone de moyenne montagne, y installant une agriculture familiale et aidant à la construction d’une voie de chemin de fer joignant, le sud à São Paulo. Ce ne sont pas moins de vingt-cinq mille colons allemands qui arrivèrent au Brésil lors des cinquante premières années de ce mouvement migratoire. Aujourd’hui encore, on retrouve une trace importante de cette origine sur les populations locales, notamment sur la marge rio grandense du fleuve Uruguay.

 

Que ce soit pour des indiens, des pêcheurs ou des travailleurs ruraux, la construction du barrage aura un impact direct sur le territoire de ses populations. Il y a une marque identitaire importante des populations avec l’espace de vie qu’elles occupent depuis longtemps et cette perte en terre affirme le déracinement d’un lien fort entre une population et son territoire. Pour toutes ces personnes, il sera nécessaire de reconstruire ces liens avec l’espace ainsi que le schéma social construit au fil du temps. La migration contraint une reconstruction de l’homme dans son nouveau milieu. Cette réorganisation se déroule sur une période temporelle aléatoire : selon la période de construction du barrage, le temps d’indemnisation et divers autres facteurs extérieurs. C’est dans ce laps de temps que sera construit la phase génératrice d’attentes et d’espoirs, avant la réinstallation.

 

 

La construction de territoires, utopies ou non?

 

Le nombre de familles touchées par la construction de barrage reste important au Brésil et la plupart du temps, des revendications sont nécessaires pour faire valoir ses droits à une indemnisation, financière ou terrienne. Pour améliorer la vie de ces familles, il y a bien un travail de ces populations, avec l’aide de divers organismes pour modifier la situation. La perte des terres et du lien avec le territoire tente d’être compensée par les indemnisations et les réinstallations des familles. Des différences notables apparaissent sur le terrain, à la fois entre les barrages et même entre les populations d’un même barrage. Car entre la loi brésilienne, qui accorde une indemnisation à tout « atingido », direct ou non, les réalités du terrain sont toutes autres. Les situations d’indemnisation par les entreprises sont très variables et vont du quasi abandon, jusqu’au respect total de la loi. Ce sont ces différences que tentent aussi de combler le MAB et les personnes impliquées.

 

La loi brésilienne prévoit différents cas de figure que pourra ensuite choisir chaque famille. Le premier est l’indemnisation financière : une somme d’argent compensatoire de la perte engendrée par la construction du barrage et qui est calculée en fonction de tous les éléments matériels ou non qui seront perdus par l’« atingido ». La famille peut l’utiliser comme bon lui semble. La seconde solution est « la carte de crédit » : c’est une compensation financière qui doit être utilisée pour un achat de terre, celui-ci sera encadré par l’entreprise qui veillera à la bonne réinstallation de la famille (localisation, conditions, accessibilité, …). Enfin, la dernière solution est le « reassentamento ». Cette installation collective est un choix de la famille touchée qui souhaite être réinstallée dans un milieu rural, profitant d’avantages collectifs.

 

Les familles qui intègrent ces lotissements légalisés ont accès à une parcelle de terre, une maison et bénéficient normalement d’un suivi social et technique pour la mise en place de leur nouvelle vie. En plus de ces avantages individuels, ils profitent d’infrastructures collectives au « reassentamento », telles que des églises, écoles, gymnases, … Cette dernière indemnisation a pour objectif de conserver les liens sociaux qui avaient pu être tissés précédemment. Les familles réinstallées dans un même lotissement avaient pour la plupart déjà des liens, soit familiaux, soit de voisinage, soit de connaissance. Il y a à travers cette solution une tentative de réduction des pertes immatérielles.

 

Toutes ces indemnisations ont un effet direct sur les familles qui se réinstallent, mais aussi sur les populations dites d’« accueil », car elles seront elles aussi affectées par cette arrivée de population. Ceci est encore plus vrai lorsqu’un « reassentamentos » est créé sur d’anciens espaces abandonnés. Il y a en très peu de temps une arrivée massive de nouvelles personnes et cette migration a forcément une influence négative ou positive sur le territoire et les populations réceptives.

 

On a donc vu que de nombreux espaces vont être construits à travers ces diverses solutions d’indemnités et quelle que soit la solution adoptée par la personne atteinte, il y aura un impact direct sur le territoire. Un impact urbain si une arrivée massive d’« atingidos » se produit dans une petite ou moyenne ville de campagne ou un impact rural plus ou moins important dans le cas de l’installation d’un lotissement, collectif ou non. Un exemple illustrera un peu plus cette modification de l’espace induite par les « atingidos ».

 

Le barrage de Machadinho fut construit entre 1998 et 2002, sur le fleuve Pelotas, affluent direct de l’Uruguay. Ce barrage construit par la MAESA fait cent vingt-six mètres de haut et a créé un réservoir de 56,7 km², dans la région de moyenne montagne qui sépare le Rio grande do Sul et le Santa Catarina. Ce barrage, à la frontière des deux états, toucha environ mille huit cents familles, pour la plupart rurales. Des familles, principalement des municipes de Maximiliano de Almeida/RS, Machadinho/RS et Piratuba/SC furent réinstallées dans un « reassentamento » collectif dans le municipe de Barracão. Deux lotissements furent construits dans ce municipe qui avait lors du dernier recensement (2000), 5 592 habitants, à parts égales rurale et urbaine. C’est un petit municipe du nord du Ro Grande do Sul qui a accueilli deux groupes de familles, cinquante quatre pour le « reassentamentos de Barracão I et cinquante cinq pour Barracão II. Cet apport en nombre eut aussi une influence sur la dynamique du territoire et sur les activités. Ces deux lotissements furent installés en zone rurale, assez loin du bourg (environ quinze kilomètres). Ils ont tous deux des infrastructures quasi similaires et ont été organisés par l’entreprise responsable de la construction du barrage et ont été accompagnés par le MAB. Dans le « reassentamento » de Barracão I, visité en août 2006, on notait comme bâtiment communautaire, un gymnase, une école, une église, un terrain de jeu. L’exemple de l’école est intéressant pour noter l’influence de ce lotissement sur la population locale réceptrice, car cette école accueil aussi bien les enfants des « atingidos » du barrage de Machadinho que les enfants des populations installées précédemment sur ce territoire (total de quatre vingt seize élèves). Cette école joue donc le rôle de jonction entre deux populations qui auraient pu être en conflit par rapport aux bouleversements importants subis dans le municipe. Les « atingidos » de ce lotissement sont pour la plupart de petits producteurs qui utilisent leur lot de terre (vingt hectares) pour produire des biens alimentaires. Ils ont pour la plupart du blé ou du maïs, certains se sont diversifiés, investissant dans le tabac ou le bétail, d’autres ont achetés en commun pour l’achat d’une machine pour ramasser les récoltes. Les « atingidos »  mettent donc en valeur les terres et animent le territoire qu’ils occupent, avec l’aide de la MAESA, dans le domaine technique (entreprise LRP) et social (entreprise SSI). Ils créent un dynamisme et interagissent avec les populations locales précédemment présentes. Ils peuvent ainsi modeler leur territoire de la manière qu’ils le souhaitent, avec ou non de la réussite.

 

À travers cet exemple, nous avons pu constater la rconstruction du territoire par les nouvelles populations. Les espaces et paysages seront ainsi remodelés dans divers lieux et en divers points, dans le cadre unique de la réinstallation de familles à cause de la construction de barrages. On trouve une marque importante sur le paysage une fois le barrage et son réservoir terminés (cf : Photo 2) et lors de l’installation de familles sur des terres non utilisées. Il y a aussi une transformation du territoire pour les populations réceptives et pour les populations qui perdent des voisins sans être directement touchées par le barrage ou son réservoir. Nombreuses sont les catégories d’« atingidos », mais on peut faire la distinction des directs ou indirects, sur lesquels le barrage aura plus ou moins d’influence sur leur vie.

 

Photo 2: Les paysages d’Itá remodelé après la construction du barrage.

Août 2006 – G. Leturcq

 

 

Toutes ces populations connaissent une situation de départ (pré-barrage) et une situation finale (post-barrage). Certaines subissent des migrations, mais toutes subissent une modification de leur environnement. Entre ces deux phases, il y a un moment de construction intellectuel nécessaire pour organiser l’avenir et c’est dans ce moment-là que se construisent les utopies et les espoirs. De ces pensées ou rêves naîtra probablement un changement significatif. Ce changement varira selon les familles et les populations, certaines atteindront leurs objectifs (un « atingido de Barracão a trouvé le bonheur avec sa famille), d’autres resteront désespérés d’avoir perdu leurs terres, d’autres resteront dans l’attente de jours meilleurs (encore des personnes sans terre à Machadinho), … Il a donc de nombreuses situations qui sont créées par la construction d’un barrage et aussi diverses soient-elles, elles modifient les territoires et les paysages et font évoluer la structure sociale.

 

 

Les « atingidos », entre rêves et réalité

 

Les barrages sont une nouvelle réalité du monde rural brésilien, ils modifient les territoires et restructurent les paysages. Il existe aujourd’hui plus de deux mille barrages au Brésil et ce chiffre ne cesse de croître. La politique énergétique brésilienne s’appuie essentiellement sur les usines hydroélectriques qui contraignent des populations à migrer et donc à changer d’espace de vie. Elles offrent un moyen d’expansion économique, mais influent sur l’environnement, les structures sociales et les territoires.

 

L’histoire des « atingidos » du Brésil illustre la diversité du pays et donc des situations. La période de construction du mouvement lui a permis de s’établir et d’avoir une organisation stable et complète. Sa reconnaissance nationale puis internationale légitimise son action. Le MAB est devenu l’interlocuteur privilégié du gouvernement lorsqu’il faut apaiser une situation conflictuelle ou élaborer un accord tripartite entre l’état, l’entreprise et les populations locales. Le MAB est un mouvement social important au Brésil et son influence ne cesse de croître dans un contexte sans cesse plus favorable à son action mais défavorable à ses objectifs.

 

Le sud du Brésil est historiquement le lieu d’initiation de ce mouvement social et encore aujourd’hui il y est le plus actif à cause du potentiel hydrographique que représente le basin de l’Uruguay. Divers barrages existent déjà sur cette voie d’eau et d’autres sont en constructions. Cela fait de ce bassin versant un des lieux les plus actifs en terme de construction de barrages. Ils naissent dans un contexte très différent de ceux d’Amazonie, mais cela ne les empêche pas d’être la cause à de nombreux problèmes. Il apparaît des difficultés écologiques (Campos Novos), sociales (Foz de Chapecó) et de réinstallations (Itá), … les situations sont diverses et disparates, à cause de contextes divers et de l’applications plus ou moins respectée des lois.

 

Tout cet univers n’est pas près de disparaître avec le développement économique du pays et des choix fait par le gouvernement. Il faut bien comprendre les logiques en jeu et les difficultés rencontrées par les nombreux acteurs pour pouvoir analyser cette problématique, foncièrement géographique et qui pèse sur l’avenir du pays. Pour conclure citons Oscar Wilde : « le progrès n’est que l’accomplissement des utopies. »

 

 

 

Bibliographie:

 

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PEBAYLE R., 1974, Pionniers et éleveurs du Rio Grande do Sul, Thèse à l’Université de Paris I.

REIS M.J. et SENS BLOEMER N. M. (org.), 2001, Hidrelétricas e populações locais, Florianópolis/SC – Brésil, Cidade Futura et Editora da UFSC, 200 pages.

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